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Peintures - Texte Martin Hildebrand


 
 

Peter Valentiner. Peinture du hasard contrôlé.


Les tableaux de Valentiner ressemblent à des regards à travers un kaléidoscope. Cela signifie déjà deux choses : d'une part, l'accent est mis sur l'aspect ludique du maïeutique, d'autre part, ses réalisations ne sont pas des vues figées de quelque chose qui échappe totalement à sa volonté. En faisant tourner le jouet, on peut modifier à volonté la constellation des cristaux ou les arrêter volontairement dans une combinaison déterminée, qui semble alors aléatoire : « Mon hasard n'est pas le même que le tien », a dit un jour Marcel Duchamp.


Le caractère magique de la recherche d'images chez Peter Valentiner se présente comme un modèle illustratif de cette constatation. Avec les lois du hasard, il s'aventure dans des domaines de l'irrationnel qui peuvent sensibiliser à la fois à la liberté et à la contrainte. Fondamentalement, la transformation méthodique peut être observée comme un équilibrage conscient des représentations picturales et techniques et des représentations intellectuelles et théoriques. Son manque de confiance en la réalité visuelle est compensé par un processus de fabrication réfléchi de ses tableaux, un processus de fabrication qui se fonde sur le principe de l'équilibre. L'œuvre d'art finale est une anthologie de citations, ce que le peintre intègre de manière raffinée comme un risque voulu. L'habileté de Valentiner, que l'on peut littéralement interpréter comme abstraite, utilise l'acquis du décollage pour enchanter la toile en un paysage pictural traité comme une mosaïque. (François Dufrene obtient en 1957 ses dessous, c'est-à dire les sous-couches d'affiches déchirées se comprennent comme des tableaux abstraits). Par ailleurs, l'intérêt manifeste de l'artiste pour le cubisme ne se rapporte ni au retrait de la couleur au profit de la forme, ni à l'aspect sculptural de l'œuvre, qui est toujours en mouvement.


Les vues sont en même temps une représentation de l'espace dans la surface. Ce qui fascine Valentiner, c'est plutôt la représentation décomposée, à la manière d'un prisme, d'une vérité qui n'est généralement pas reconnue dans sa simultanéité. Il faut en outre être conscient qu'en fin de compte, un acte violent, qui provient de la technique et non de la chose représentée (Bacon), produit une situation à l'issue indéterminée : ce qui a été enlevé est perdu à jamais, les formes qui survivent sont irréversiblement dépendantes les unes des autres. Un phénomène en particulier caractérise cette peinture, qui pour l'instant n'est pas pressée de se libérer des aspects illustratifs, comme une position originale : il s'agit d'un principe structurel obtenu par des accumulations aléatoires judicieuses, que l'on peut nommer par la formule de la force d'attraction du référent. A partir d'un nombre incalculable d'événements possibles sur la page d'accueil, il est possible d'établir une relation de cause à effet. Valentiner sépare de manière concentrée et décidée les cas favorables de ces éventualités, qui possèdent en outre une affinité remarquablement intense pour l'alternance harmonieuse.


Dans ce contexte, la volonté de camouflage s'avère être une perspective essentielle. La systématique de la production d'images peut en effet être attribuée à des réflexions qui s'appuient sur l'observation du mimétisme dans la nature. Il en résulte une intention de tromperie qui vise à étonner le spectateur qui découvre soudain, derrière une impression instantanée qu'il croyait avoir déjà saisie, de nouvelles structures d'ordre qui le déstabilisent : la comparaison avec un filet de camouflage est justifiée. Car les images de Valentiner, qui traquent les dimensions imaginaires de l'inconscient, ne se caractérisent pas seulement par ce qu'elles révèlent en surface, mais aussi et surtout par ce qu'elles révèlent en profondeur, cachent, voire tentent de dissimuler.


Ces modalités de création, qui jouent avec notre disposition négligente à la perception fugitive, donnent l'illusion d'une réalité qui n'a que l'apparence d'elle-même. L'idée holistique qui préside aux montages combinatoires associatifs du peintre ne peut être réduite par la première impression de fragmentation des compositions ; dans chaque fragment subsiste l'idée perpétuelle d'une vision absolue qui doit inclure aussi bien le visible en l'enregistrant que le caché en le complétant. Toute la complexité de la vision s'accomplit dans l'apprentissage successif de chaque individualité d'image, de même que les travaux de Valentiner sont caractérisés par un moment temporel : l'impression de mouvement, la vision auditive des timbres musicalement orchestrés, l'expérience du rythme, la perception de l'espace et du temps. L'excitation et l'apaisement sont des caractéristiques de la création, tout comme les charges et les tensions, les chutes et les montées.


Ce qui compte, c'est l'état : la maîtrise de l'instant maintient les images dans une zone de flottement sensible aux nerfs, entre l'obstination et la référence, qui peut émettre une force d'attraction magnétique. Un exemple (Blue Night Shadows 1984) en est l'illustration : Devant un fond d'image indéfinissable, d'un bleu noir conséquent, flottent des taches de couleur irrégulières, clairement différenciées et insérées, d'ampleur et de forme différentes ; elles affirment leur structure plane. Mais l'absence de perspective géométrique implique-t-elle aussi l'absence de spatialité ? Probablement pas. Sinon, comment pourrait-on parler de flottement, de mouvement ? Il doit y avoir un autre type de dans lequel l'image veut nous emmener. Cet espace imaginaire, qui semble se prolonger au-delà des limites du tableau, est inaccessible et mystérieux. L'observateur peut distinguer trois niveaux illusoires, notamment par leur faible différence de hauteur : la présence irréelle du fond bleu-monochrome, qui ne lui assure aucun point de repère, même trompeur, comme une profondeur mesurable, ainsi que deux couches de formes colorées qui se chevauchent. L'existence silencieuse, voire apathique, de l'arrière-plan semble d'une grande urgence. Cet arrière-plan semble quasiment intact par rapport aux processus précis de l'instant qui dominent les deux autres plans.


Mais il doit aussi être considéré comme un milieu enveloppant, devant lequel se déroulent tous les événements et qui agit en toute chose. S'ouvrant et se fermant à la fois, le bleu noir peut être considéré comme une expression possible de la transcendance. Le bleu est toujours ombragé et tend vers l'obscurité dans sa plus grande splendeur.


C'est un néant impalpable et pourtant présent comme la sphère transparente (Itten). Cette conception globale est contrebalancée par le caractère fragmentaire des îlots de couleur aux contours stricts qui se déplacent librement au premier abord. Leur contour irrégulier oscille entre de longues coupes droites et des bords de rupture dentelés à angle aigu. Au cours de leur mouvement descendant, qui tend à tomber et qui s'explique si peu par leur lourdeur presque inexistante, les segments de couleur antérieurs recouvrent ceux qui se trouvent en dessous. La couche lumineuse, développée uniquement à partir de tons orangés modulés, est composée de sept éléments individuels qui sont utilisés (pour s'aider de la plastique) à la manière de stèles. Grâce à son insertion consciente dans la structure de l'image, qui fonctionne en quelque sorte comme un contrefort, le tableau est formellement divisé en sa partie verticale dominante.


La surface rectangulaire élevée n'est pas structurée horizontalement. D'un point de vue chromatique, les longs traits orangés se comportent en un contraste clair-obscur extrême avec le bleu noir qui les enveloppe ; le bleu spiritualisé évoque presque sa couleur opposée, l'orange. Tandis que le bleu, qui est en arrière-plan, est perçu de manière introvertie et peut avoir un effet suggestif, l'orange est doté d'une énergie rayonnante. Il se rapproche souvent d'un rouge-orange flamboyant ou est teinté d'une nuance olive à l'aspect végétal. La couleur atteint ainsi une nouvelle qualité, une autre matérialité que celle de la couleur de fond.


Si l'on peut déceler des traces isolées de dessin gestuel sur les formes colorées du fond central, elles sont marquées au premier plan par une volonté propre dynamique. L'écriture, guidée par une excitation spontanée, apparaît comme une chorégraphie des larges coups de pinceau, vitalisés par des glacis prismatiques. Il ne fait aucun doute que les différents fragments de couleur faisaient autrefois partie d'un tout. Les couleurs atténuées du premier plan vont d'un bleu transfiguré par le blanc en haut à droite, en passant par un gris dramatiquement rehaussé par le rouge, jusqu'à des nuances ternies par la lumière dans la zone sensible bleu clair-rose au centre du tableau, qui s'évapore vers le bas jusqu'à une valeur ocre olive terreuse qui se termine par un rouge terne et incandescent. Tous les fragments restants peuvent encore donner une idée de la force des couleurs rassemblées, en particulier la moitié droite du tableau, où le rouge du bord inférieur est placé en contrepoint du bleu du bord supérieur ; sur les fragments intermédiaires, on peut encore comprendre les sons de transition d'une couleur extrême à l'autre.


D'un point de vue formel, la disposition des sept parties de la surface de l'avant-plan Le modèle le plus clair joue le rôle de centre pour l'ensemble du tableau et pour les fragments qui l'entourent. La question qui se pose ici est celle des relations entre les différents éléments de cet organisme qu'est le tableau. N'est-ce pas justement l'organisation de l'ensemble de l'image qui peut empêcher la désorientation du spectateur ? Il faut parler de tensions, de tensions entre le bleu intemporel du fond et l'atmosphère transitoire du jeu de formes et de couleurs, de tensions entre les mouvements antagonistes verticaux et circulaires, de tensions soigneusement équilibrées entre le chaos et l'ordre, la sérénité et le sérieux, la liberté et la liberté. La forme n'est pas l'expression du contenu, mais seulement son incitation, la porte et le chemin vers le contenu. S'il agit, l'arrière-plan caché s'ouvre également, comme le sait Franz Kafka, l'homme aux yeux.


Martin Hildebrand

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