Ci-contre, œuvre d'art brut devant un tableau de P. Valentiner (1976).
Gérard Babin
Son style est éclectique à l’image de ses très originales créations de mode. Mais le goût du baroque de Gérard Babin reste aussi équilibré que la coupole des Invalides en face de ses fenêtres.
Né près de Cognac, Gérard Babin revendique ses origines terriennes : « Mes parents étant régisseurs, nous vivions dans de superbes demeures qui ne nous appartenaient pas. Il n'y avait ni eau courante, ni toilettes, et parfois le sol était en terre battue. J'ai connu des écoles communales avec le poêle qu'on allumait le matin. Tout cela n'a changé que dans les années cinquante ». Sans doute, comme un héros de Mauriac, lisait-il Vingt mille lieues sous les mers et les romans de Loti, dont l'extravagante maison turque dresse son minaret à Rochefort. Les aventures de la belle Aziyadé le firent pourtant moins rêver que celles de Lucien de Rubempré, le jeune ambitieux qui, d'Angoulême, partit conquérir la capitale :
« Aussi loin que je me souvienne, je savais, comme lui, que j'irais un jour à Paris. J'y débarquai à dix-huit ans, muni d'une bourse, pour m'inscrire en faculté de lettres. En fait, j'ai travaillé tout de suite, tour à tour garçon de café, assureur, visiteur médical. J'étais fasciné par la ville, ses musées, et surtout les puces de Clignancourt, où je dépensais tout ce que je gagnais ».
En 1968, il crée une boutique avec un associé, François Houei, pour y vendre des vêtements de cuir. En 1977, il ouvre sa propre maison de couture. Il a beaucoup de succès en Italie et aux Etats-Unis, où l'on apprécie sa façon de traiter des matières inhabituelles (serpent, crocodile, autruche) et surtout la fourrure. Son appartement, situé dans un très bel immeuble des années trente, est éclectique et baroque, à l'image de sa personnalité.
Dans l'entrée, trône un immense paravent tapissé d'un papier peint chinois fin XVIIIe destiné au marché anglais. Devant la scène enluminée du Céleste Empire, un coffre indien est surmonté d'une sculpture naïve de la Canadienne Nathalie Fortier, des lampadaires vénitiens éclairent des cercles en papier bleu du Polonais Baran, et un crâne de rhinocéros a élu domicile sous une console Louis XV.
Est-ce la quête de subtiles « affinités électives » qui guide notre hôte ? Ce serait méconnaître sa modestie : « Je ne me soucie ni de la taille ni de la rareté des objets. Je ne les achète que pour mon plaisir. C'est à eux de se débrouiller pour cohabiter ». Mais les occasions se faisant rares aujourd'hui, il se tourne de plus en plus vers la peinture moderne, « où l'on peut encore s'amuser sans se ruiner ». D'ailleurs, son premier achat fut, à vingt ans, une toile de la Charentaise Hélène Perdriat, datée de 1922. Plus récemment, il a obtenu une petite œuvre du constructiviste Mantsouroff en l'échangeant contre un manteau en crocodile !
Il se réjouit de pouvoir à nouveau fréquenter les galeries de New York, à cause de la baisse du dollar, et ne trouvant plus de place pour accrocher les tableaux, il les accumule le long des couloirs. Les meubles, en comparaison, le préoccupent moins. Cela ne veut pas dire qu'ils ne prennent pas de place : les deux lits Senoufo du salon sont de taille aussi royale que leur origine. On trouve également dans cette pièce, une tenture du Californien Christopher Hill entre deux colonnes d'église, un canapé de Mallet-Stevens, une table de coupeur de tissu où caracole un cheval à roues indien, deux médailliers hérités d'un malacologue et, parmi d'autres portraits 1900, une belle dame de La Gandara en face d'un petit bonhomme oscillant naïvement sur sa balançoire en béton.
La salle à manger occupe une position stratégique, au centre même de la maison. Gérard Babin, issu d'une province gastronome, adore cuisiner, et l'on déguste les bons vieux plats de son terroir sous la réplique en terre cuite de la nymphe de la grotte de Rambouillet, assise nue sur un bouc devant un paravent chinois en laque. Quant aux chambres, elles servent à entasser les dernières trouvailles du propriétaire. Dans la sienne, une commode « deuil-de-la-reine » voisine avec un Bibendum Michelin 1930 et des dizaines de toiles ramenées des puces. Dans une autre, une chaise anglaise néo-classique dialogue avec une maquette d'usine 1920.
Est-ce là un jeu passionnel, comme dit Maurice Rheims (cité par Jean Baudrillard dans Le système des objets) à propos du goût de la collection ? Gérard Babin s'en défend : « Cela me serait égal de tout vendre, dit-il, je finirai dans mon atelier en dormant sur une fourrure ».
Cependant, s'il déclare admirer les intérieurs japonais, et être capable de vivre dans une pièce vide, il ajoute aussitôt : « Mais c'est impossible ; dans la misère, je ferais les poubelles ! "·
Texte PHILIPPE SEULLIET,
Photos JEAN-FRANÇOIS JAUSSAUD
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