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Les camouflages de Peter Valentiner


 

Texte extrait des pages 73 à 80

 

Le camouflage est l'art de dissimuler ce qui est, au point de la rendre inexistant, invisible. Le camouflage est toujours pratiqué dans un but précis, il est en conséquence opérationnel. Le camouflage est une phase d'attente. Sans camouflage aucune progression ne peut s'opérer, aucun cycle ne peut s'accomplir. Toute espèce est passée et doit passer par une phase camouflée avant d'atteindre son équilibre, c'est une loi fondamentale dans la nature. Sans camouflage, une espèce s'exposerait inutilement à l'agressivité de son milieu ambiant. (cf. mimétisme animal.)


Sur le plan militaire, le camouflage a été créé et mis au point (1) pour des besoins tactiques : soustraire les troupes à l'observation de l'ennemi et à ses recherches, notamment par la photo aérienne, et ainsi permettre une progression plus efficace des troupes sur le terrain. Exposer un camouflage peut prendre plusieurs significations, entre autres :

  • l'art, dans le contexte où il est diffusé aujourd’hui, n'est qu'un camouflage qui ne sert qu'à mieux masquer sous un aspect de libéralisme et d'humanisme d'opérette, les tares d'un système dont le maintien n'est dû qu'à une forme de pouvoir bien connu aujourd'hui : la répression policière.

  • dans une manifestation « artistique », c'est lui restituer son vrai visage et faire démonstration publique de cette évidence : « tout, absolument tout, n'est qu'apparence et les apparences sont trompeuses. » (cf. illusions d'optique.)

  • enfin introduire la notion de camouflage dans le champ des pratiques artistiques est une tentative subversive d'initiation du public aux différentes formes de camouflage pratiquées à ce jour. Éventuellement l'inviter â user, à son tour, de ce type d'action dans un processus révolutionnaire.


(1) à l'origine, dès la première guerre mondiale, artistes peintres, décorateurs de théâtre, etc... collaborèrent avec l'armée pour sa mise au point.

 

Août 1971.

HOMOCHROME (krom) : adj. qui présente la couleur ou l'aspect visuel de son milieu.


HOMOCHROMIE : n.f. fonction par laquelle un animal prend la couleur ou l'aspect visuel du fond sur lequel il se tient immobile.

- encycl. homochromie. L’homochromie est passive, quand l'animal vit habituellement sur un fond accordé à son aspect (zébre parmi les erbes) ; elle est active, quand l'animal peut agir sur sa couleur et la modifier (caméléon, turbot). Dans ce cas, ce sont des grains colorés contenus dans la peau qui, soit par réaction locale et directe à la lumière, soit sur ordre du système nerveux central ou bien sous l'effet de certaines hormones, se dilatent ou se contractent, montent en surface ou s'enfoncent. La peur, l'activité sexuelle, la vision interviennent dans l'aspect résultant.


CAMOUFLER, v. tr. (camuffare, ital. déguiser). Maquiller, déguiser de manière à rendre méconnaissable ou inapparent : camoufler un canon, un char - fig. dissimuler, cacher sous des apparences trompeuses : camoufler un échec. Camoufler ses véritables intentions.


CAMOUFLAGE, n.m. action de camoufler - art de dissimuler, à l'observation ennemie, du matériel de guerre, des navires, etc., pour garantir le secret ou la surprise. - procédé intermédiaire entre le langage clair et le langage chiffré utilisé dans les transmissions militaires pour assurer pour un certain laps de temps le secret des communications : le camouflage d'un message. Une grille de camouflage.


CAMOUFLEUR, adj. et n.m. personne qui exécute un camouflage (au pr. et au fig.)


CRYPTE, n.f. (du grec kruptos, caché, souterrain).


 

Les camouflages de Peter Valentiner

Par Béatrice Janicot


1971 : les lianes qui camouflaient les bouddhas d'Angkor camouflent maintenant des mitraillettes américaines... Les derniers sauvages sont camouflés par les jungles vierges mais pas assez bien cependant car ils ont oublié de se cacher des voies du ciel découvertes aux avions génocides... « les femmes sont toujours sensibles au prestige de l'uniforme », affirment les magazines et, forts de ce principe, les magasins vendent comme des petits pains des tenues plagiées aux militaires... L'industrie et la (camp de) concentration urbaine prenant de plus en plus d'extension, on envisage de sauvegarder la nature en la délimitant dans des parcs étatiques. Ainsi, comme il se passe dans les zoos pour les enfants des villes, on irait visiter la nature exilée comme une bête curieuse.


Curieuse s'il en est ! voici que Peter Valentiner a décidé de nous rappeler une de ses plus vieilles histoires savez-vous, nous dit-il, qu'il y a des bêtes curieuses qui utilisent les dons dont les a dotés la nature à imiter la nature à toutes fins utiles de se camoufler, de s'identifier et par là de surprendre car le défensif peut devenir offensif. Cela s'appelle homochromie c'est-à-dire similitude de couleur quand la teinte d'un animal se confond avec son environnement, et homotypie, c'est-à-dire similitude de forme et d'aspect comme dans le cas de ces sauterelles qui se confondent avec des brins d'herbe. Nous appellerons, pour simplifier, ce phénomène « camouflage » car c'est ce nom que la tactique militaire a choisi pour l'imiter.


En effet, cette particularité n'a pas échappé au génie inventif guerrier qui l'analysa, l'adopta, l'adapta et, conquise par sa trouvaille, l'organisa, légiféra et opéra. Alors naquirent de vrais chefs d'œuvres d'art martial et l'on pourrait s'écrier comme le font les promoteurs de mode, et c'est bien là une des plus horribles dérisions conçues par l'homme : « ah que la guerre est jolie ! », devant cet envers de l'endroit, devant ces tissus et ces peintures de camouflage si séduisants qu'ils en déguisent l'horreur qui justement s'y camoufle, devant cette guerre en dentelles, cette guerre en filets de caoutchouc, ces patchworks de haute-couture militaire.


Tout ce camouflage, tout ce nouvel art militaire Valentiner l'exhibe, nous en informe et nous le donne à voir. Voici donc la géométrie de masse vert Verdun dans le camouflage teuton, voici la « vietnamisation » du camouflage américain aux formes opiacées pour un rêve oriental. Ces couleurs seront à la mode cet hiver, nous dit Emmanuelle Khan. Voici l'arlequinade en Italie, c'est la parade du kaki, du vert-de-gris, du cresson, de la salade qui cachent le dormeur du val.


Car un jour devant la débauche des bâches militaires qui étalaient au marché aux puces leur marché de dupes Valentiner s'est réveillé. Ses sourcils pointilleux se sont alors agrandis en accents circonflexes au-dessus de ses yeux pointillés jusqu'à se métamorphoser en point d'interrogation pour le gauche et en point d'exclamation pour le droit. Et c'est pourquoi il a quitté ses peintures de guerre pour les mettre sur son visage pâle. Il a quitté son pinceau qui peignait des tireurs pour étudier le vêtement de ces tireurs et la Facon dont était conditionnée et programmée leur agressivité. Il a cessé de peindre les symboles pour aller aux sources du mythe. Il a trouvé le mot à clefs, le mot à double sens, à sens pratique et mythique : camouflage. Et voyant que la guerre se cachait dans le sentier il a pris le maquis et le sentier de la guerre masquée afin de mieux la démystifier. Enfin les pinceaux relégués au placard à balais des musées et des galeries de l'institution, il a pris les propres armes des guerriers, les armes à double tranchant, comme ses propres armes d'artiste.


Il a trouvé un mot magique et les portes de la magie se sont ouvertes devant lui, lui montrant comme ce mot « camouflage » dont il ne soupçonnait pas encore l'importance était à quel point présent dans la tradition historique et culturelle de l'homme.


Ainsi, pour ne citer que deux exemples, les camouflages sont les allégories et les symboles de la mythologie lorsque ses paraboles s'expriment dans un langage déguisé en poésie : ils s'appellent alors « métamorphoses ». Quant à l'ultime camouflage de l'homme et des animaux n'est-ce pas le travail de la mort qui les métamorphose en poussière semblable à la poussière où la mort les a couchés ?


Certes « camouflage » est un concept magique et Valentiner en l'exhibant nous invite à franchir ses portes et à en découvrir nous-mêmes la magie. Toutefois méfiez-vous de la magie est aussi aussi la démarche que Valentiner propose à notre réflexion. Peuples chez qui l'étranger nommé dollar est venu porter la guerre, méfiez-vous de la nature car derrière chaque arbre est un soldat caché ! c'est la forêt en marche de Shakespeare. Méfiez-vous des métaphores poétiques et méfiez-vous des artistes-peintres. Souvenez-vous de la première vocation d’Adolph Hitler et sachez-que Monet a peint les premiers nymphéas-camouflages pour l’armée française.

Enfin cher lecteur, permettez-moi de vous poser une question : « quand quitterez-vous votre camouflage ? »

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